Vide et manque dans les états dépressifs et mélancoliques.
INTRODUCTION : Si le manque est gravé du sceau du désir, de la pulsion, de la libido, de l’énergie pulsionnelle, le vide semble se caractériser au contraire par son absence de désir. Le sujet normal désire, est en recherche d’objet interne ou externe, pour se combler et obtenir satisfaction : le sujet psychique dans la satisfaction peut ainsi retrouver son homéostasie. Pourtant lorsque ce même sujet manifeste d’un vide, « je me sens vide », soit il est mû par son affect de manque, soit il fait le constat clinique d’un état de vacuité ; comment peut-on se sentir vide, si ce n’est par l’effet de manque ? Quelque chose manque, et il se sent vide. Il est à la fois en manque et manifeste d’un trou à combler. Est-il pour autant vide de pensées, vide d’objets, ou éternellement insatisfait ? Les concepts intriqués de manque et de vide font généralement résonnance aux troubles dépressifs et mélancoliques. Toutefois, ces deux notions permettent-elles de distinguer ces deux états ? Comment se manifestent le vide et le manque dans les états dépressifs et mélancoliques ? Peut-on à partir de ces deux notions élaborer une distinction entre le dépressif et le mélancolique ? La clinique des formes dépressives et mélancoliques est riche et étendue : il est difficile d’y adhérer une structure spécifique type narcissique ou objectale. La mélancolie peut parfois aller jusqu’à la psychose mélancolique, le borderline peut avoir des accès dépressifs, la perversion, des consonances mélancoliques et inversement…Comment dans les thérapies analytiques et dans la psychanalyse, réinvestir le vide, et combler la perte d’un objet perdu, donc son manque ?
1 Manifestations : manque et vide à la fois La psychanalyse relate une gnose conséquente sur le manque et le vide : autant la perte de l’objet aimé est consubstantielle d’un manque, autant l’affect d’un manque manifeste d’un vide béant à combler, qui ne peut nonobstant se satisfaire d’un seul objet déterminé, ou d’un ersatz.Le patient vient souvent en cure pour faire le deuil d’un paradis perdu, d’un moi idéal, nostalgie d’un objet maternel fusionnel, d’une enfance mythique, d’une mère suffisamment bonne, ou insuffisamment. Cette perte se manifeste en cure sous parfois l’énergie du désespoir : il tente à tout prix d’emplir le vide par une tachypsychie déroutante, ou au contraire un silence pesant, une bradypsychie besogneuse. La dépression manifeste d’une atteinte soit objectale soit narcissique où l’on retrouve bien évidemment la problématique d’une perte donc d’un manque. L’articulation Deuil & Mélancolie permet ainsi selon Freud dans son Essai éponyme, de mettre en relation la perte de l’objet et son manque. Il écrit cet ouvrage en 1915 certainement pour sublimer le deuil subjectif de ses deux fils partis au front. Dans une lettre à Ferenczy, il décrit de manière concise les caractéristiques de la mélancolie : il l’assimile au deuil, c’est-à-dire à la perte de l’objet libidinal. Le travail de deuil consiste à retirer la libido de l’objet aimé perdu. Le moi est donc contraint de s’installer dans une « psychose hallucinatoire du désir » où l’objet est gardé dans le moi-imaginaire, reniant ainsi par là toute réalité de la perte. La mélancolie montre ensuite « un extraordinaire appauvrissement du moi et une perception accrue de celui-ci ». Le degré d’autocritique est intense et le moi dévalorisé. Il devient impossible au sujet de se réinvestir dans d’autres objets. Freud utilise d’ailleurs une expression très à propos : le moi mélancolique est le « tableau de délires de petitesse ».La mélancolie a donc en partie les aspects d’un deuil pathologique : c’est bien sûr la « réaction à la perte d’un être aimé », ou son « abstraction qui lui est substituée ». L’inhibition, la limitation du moi sont la marque du deuil comme de la mélancolie. Cependant, pour cette dernière, c’est une perte ignorée, dérobée à la conscience. Et si l’endeuillé aperçoit le monde vide car en manque de l’objet aimé, le mélancolique trouve son moi vidé de sa substance. Nous apercevons grâce à cette première distinction Deuil et mélancolie, une différence notable entre le manque et le vide. La perte de l’endeuillé se traduit dans un manque au monde, aux objets : le monde est vide car « un seul être lui manque et tout est dépeuplé » pour reprendre un vers de Lamartine (L’isolement), tandis que dans la mélancolie, c’est le moi qui se vide et semble manquer de quelque chose qu’il ignore.Mais pourquoi se vide-t-il ? Au sujet de la mélancolie, j’illustre mon propos par l’histoire de Mme V.W. Cette dernière décrit une enfance choyée par un père protecteur et une mère rempli par ses devoirs maternels, dont elle a découvert par hasard l’alcoolisme à l’âge de 8 ans : c’était d’ailleurs un secret entre elles. Elle est intelligente, a fait des études scientifiques, elle a un métier qu’elle vit avec en apparence beaucoup de plaisir et dont elle me rapporte le menu détail comme d’ailleurs le moindre instant de sa vie. L’étagère qui penche est un événement, le chat qui fait la sieste toute l’après-midi revêt pour elle un incroyable intérêt. Certains autres jours, elle exprime une tristesse profonde : des crises de larmes toute une matinée, parfois toute une journée sans vraiment savoir pourquoi… lorsque j’essaie de comprendre sa détresse, elle est évasive d’abord, puis désireuse d’entrer dans le détail, elle déverse une longue litanie de plaintes : qu’elle se sent vide, qu’elle ne comprend pas pourquoi, qu’elle voit bien qu’elle est seule, qu’il lui manque quelqu’un puis quelque chose, mais elle ne sait quoi exactement.Pourtant quotidiennement, ses parents prennent de ses nouvelles, souvent en Visio, parfois par SMS. Elle part chaque matin se promener dans le centre commercial pour contrer sa mélancolie. Elle a en outre ce travail d’éducatrice qui l’accapare. Elle semble avoir une sociabilité riche et productive.Dans toutes ses activités, elle trouve vie et aime y être mise en valeur. Néanmoins, lorsqu’elle se retrouve, « seule, face à elle-même », elle se sent comme une « coquille vide » sans importance, sans aucune valeur, n’éprouvant aucun plaisir : elle ne contemple pas la nature, l’épanouissement d’une fleur sur le balcon de la voisine (d’ailleurs, elle n’aime pas les fleurs déclare-t-elle), le soleil par la fenêtre non-plus, rien n’est beau et particulièrement dans sa vie, rien n’a de charme ni de passion. Elle ne s’émerveille pas !Il est évident que sa dépression est proprement narcissique car l’attachement aux choses, aux êtres n’est finalement pas ou peu investi par son moi : son intérêt pour l’autre dans l’activité n’est que façade, ou mise en valeur d’elle-même. Sa volubilité soudaine dans la description détaillée de sa journée semble obérer l’apparition d’idées noires qui surgissent parfois à d’autres moments. Ce sentiment de vide, cette douleur psychique, cette profonde tristesse sont les caractéristiques symptomatiques de la dépression, avec bien sûr la perte d’estime de soi. Mais, l’impression de « coquille vide » ne semble plus être mue par un désir d’objet, ou un désir du monde. Le manque s’est estompé derrière la crainte d’un vide, qu’on peut ainsi stigmatiser par « j’ai envie d’aller mieux, car sinon, je m’effondre, je disparais », ou « je préfère être oiseuse et m’endormir que de craquer ». Pourquoi cependant ce vide reste sans origine ? Dans le cas de Mme V.W., rien de sa vie ne semble justifier une telle détresse. Quelque chose manque. Il y a un vide, mais ce n’est en rien une grande question existentielle ! Ce n’est pas non plus ce manque-à-être lacanien, métonymie du désir. Le désir d’être est presque totalement oblitéré ! Mélanie Klein semble déchiffrer l’aporie : dans sa fièvre à tout traduire par les seules postures et positions de l’objet interne dans les stades schizo-paranoïdes et dépressifs, elle résout la problématique du mélancolique par l’introjection puis l’incorporation du mauvais objet.Tandis que le paranoïaque est marqué par la projection et le rejet de l’objet décevant, le mélancolique introjecte ce même objet : il dévore « les fèces ». Car il ne peut résister à ses pulsions agressives et destructrices. Du coup, il ressent de manière intense la culpabilité surgissant de son Surmoi car il a introduit la personne vivante dans son corps. Le mélancolique ne lutte plus devant cette culpabilité, il est coupable ! Sa haine de l’objet l’emporte sur la réussite du deuil. Le moi reste rivé sur cet objet maternel destructeur, car meurtri, dévoré, liquéfié, et il ne peut accéder à l’étape suivante de réinvestissement libidinal dans les objets latéraux, les bons objets. Car en introjectant l’objet haï, le moi devient à son tour haïssable pour ainsi paraphraser Freud.Le mélancolique peut donc aller jusqu’à la forclusion (du réel). Le monde n’existe plus, seul sa détresse perpétuelle fait rage dans son combat avec l’objet haï.Pour Mélanie Klein, il faut donc réintroduire les bons parents intérieurs pour réduire la haine et sortir de la dépression mélancolique. Rien ne semble manquer mais il y a comme une défaillance interne, une brèche qui est resté saignante car quelque chose ne s’est pas passé correctement. Les dépressifs vivent dans l’angoisse permanente de tomber dans le vide. Mme V.W. s’affaire dans ses rendez-vous avec son médecin, son psychiatre, sa psychologue, son psychanalyste pour combler une faille, qui demeure béante le week-end quand elle n’a justement plus rien à faire.
2. Le vide comme faille de l’organisation du Moi. Une angoisse décisive surgit violemment lorsque sa psychologue tenta d’explorer plus en avant « ses moi ». Elle décrit ainsi au cours de plusieurs dialogues, une Mme V.W, la bonne, la sociable, la tendre, l’amicale, la serviable, par ailleurs un Idéal du Moi très élevé par rapport à sa condition de femme seule, un Surmoi surpuissant dévastateur qui dévalorise son autre Moi fade, sans valeur, sans existence… Il faut ajouter pour compléter le tableau mélancolique, qu’elle a des accès de rage phénoménale où selon ses propres termes, elle « se fracasse la tête » à la fois pour exister » et aussi pour éteindre son cruel Surmoi.Dès 1920, Freud remarque cette force de dé-liaison, cette vidange d’énergie, antagonisme de la libido. Chez le mélancolique, la composante destructrice dans le Moi se retranche dans le Surmoi : pure culture de la pulsion de Mort. Dans les troubles dépressifs déclinés, le DSM 5 enregistre les symptômes suivants : une faible estime de soi, une perte d’appétit, (ou une hyperphagie), des insomnies (ou hypersomnie), des difficultés à prendre des décisions, des sentiments de désespoir. Le sujet semble donc vidé de toute énergie et sa libido, recroquevillée. Mais l’attachement aux choses et aux gens subsistent. Une connexion peut se rétablir avec le monde en mettant en exergue le manque au monde, aux amis, aux parents : la relation à l’objet peut se réparer plus aisément, malgré le ralentissement moteur et idéique. Chez le dépressif aux caractéristiques mélancoliques, la dépression est « marquée le matin » et sa culpabilité selon ce même DSM est « inappropriée et excessive ». Le vide prend une autre consonnance : cette culpabilité cruelle semble aspirer tout l’être du sujet et ouvrir une brèche énorme dans l’estime de soi. Les pôles du sujet psychique sont écartelés entre le Surmoi Cruel, le moi tout rabougri, l’Idéal du Moi lui-même idéalisé. Le ça peut alors s’engouffrer dans des pulsions monstrueuses de destruction : Mme V.W. se fracasse la tête pour retrouver son existence ! Le langage, véhicule du symbolique n’a plus aucune force de liaison. D’ailleurs, Mme V.W. est scientifique, elle dit ne rien comprendre à la métaphore, la poésie, la littérature : elle laisse cela à son père, grand lecteur. Dans ses accès dépressifs, on peut parfois, mais très rarement, ressentir un désir d’être une autre, de s’en sortir, de guérir. Mais dans sa description quasi clinique, de ces états mélancoliques où son Surmoi vengeur est omnipotent, le vide est sidéral, indescriptible, incompréhensible, déconcertant, voire interpellant : pour paraphraser Winnicott dans son article la crainte de l’effondrement, le vide semble représenter une absence, ce « rien qui ne s’est pas produit là où quelque chose aurait dû être bénéfique ». En effet, dans tous ses monologues, j’ai toujours cette étrange impression que quelque chose se cache et manque à être dit. Certainement j’ai cette fâcheuse tendance du thérapeute à aller à la quête du Graal dont le nectar christique résorberait d’un seul coup cette pathologie invasive. Mais même derrière le souvenir-écran de la découverte de sa mère alcoolique, à travers ses nombreuses histoires, j’ai toujours ce sentiment que la mère semblait ou semble insuffisamment contenante. Comme dirait Fédida, « quelque chose n’a pas eu lieu ». Winnicott d’ailleurs dans sa théorie du Faux-self pointe l’importance du regard de la mère : plus loin que l’image globale unifiée du miroir, prélude à l’activité de représentation et de symbolisation explicitée par Lacan, le regard de la mère permet la reconnaissance de soi et l’estime de soi.Lorsque ce regard est vide, l’enfant ne peut s’y lire : le moi se morcèle et se crée alors un faux-self. Selon Green, le détournement du regard de la mère suscite une perte traumatique d’ordre narcissique : la perte de sens est liée à l’impossibilité de comprendre le désinvestissement de la mère.L’angoisse primitive disséquante (Winnicott) peut poindre à travers la crainte de l’effondrement, la perte de l’unité du Self. Mme V.W. me raconte que parfois, elle préfère dormir, ou visionner une série pour éviter de trop penser : elle craint que sa rage refasse surface ou qu’elle « se défonce » à nouveau le crâne. Mme V.W. finalement soigne sa mélancolie par la dépression ! Green découvre un narcissisme négatif qui recouvre des pulsions de mort, un abaissement de la libido qui aspire à la mort psychique. Au-delà du morcellement, il y a le repos, un narcissisme primaire absolu.Au cœur de la structure narcissique, le négatif se forme dans l’hallucination négative de l’objet maternel primaire, la mère absente, morte. Se constitue alors l’enveloppe psychique vidée qui vient d’une part renforcer le pare-excitation, d’autre part fournir une structure vide à l’intérieur de laquelle la vie psychique du sujet éclora. Succède normalement l’identification.Selon le bon mot de Green : « le narcissisme est l’effacement de la trace de l’Autre dans le désir de l’Un. »Ce travail du négatif a donc théoriquement des fonctions positives !Mais cette enveloppe doit ensuite être recousue par des investissements de représentations. Sans suture, c’est la psychose blanche : le moi se fait disparaitre devant l’intrusion du « trop plein », d’un bruit qu’il faut réduire au silence.Le moi est alors accaparé par le deuil halluciné d’une mère absente à l’enfant. Face à ce désastre, c’est la perte de sens, la dépression : l’enfant s’identifie à la mère morte. L’unité du moi est désormais troué ! Dans la dépression, la culpabilité reste silencieuse. Mais dans la mélancolie, le sentiment d’indignité, le sentiment de dévalorisation sont comme des déflagrations dans la psyché. Mme V.W. ne cesse de vouloir réparer par des offrandes à ses parents : un jour c’est un bain pour les pieds du père, un autre, ce sont des fleurs pour la mère. Mais lorsqu’elle les invite chez elle, ou au restaurant, ou à un café, les dimanches, ou qu’elle parvient à voyager jusque chez eux, elle ne parle, rapporte-t-elle, que de son travail, de sa machine-à-laver qui fait trop de bruit, de son chat qui dort plus que de raison. Son discours devient comme un bruit de fond sans importance comme du reste ce qu’elle considère de sa vie, d’elle-même. Une dévalorisation sans fin. Plus rien n’a de substantifique moelle, de vibrations.
3. Vide par l’asymbolie et par l’inhibition : comment réinvestir le vide ? Dans cette parcimonie du détail, se révèle le cannibalisme mélancolique. Pour mieux le posséder vivant, Mme V.W. le morcelle, le mâche, le rumine après l’avoir dévoré. L’objet n’a ainsi plus de consistance : le moi se vide de sa substance. Ne restent que les déjections, les cadavres, les déchets d’une mère inconsistante, de la perception d’un regard vitreux, sans fond qui ne l’a pas nourrie, ou d’une mère qu’elle a jugée trop tôt coupable d’absences, coupable d’alcoolisme, coupable de médiocrité… tout ceci reste pour l’instant à l’état de suppositions car la parole se délite sans cesse du signifiant pour revenir à une logorrhée inconsistante.Lorsqu’elle me raconte ses déjeuners qu’elle cuisine chez elle, je ne peux m’empêcher de faire intérieurement le parallèle avec cette même logorrhée : inconsistant, fade, sans goût ! à quelques exceptions près lorsque sa mère lui offre des haricots du jardin : elle s’est régalée ! Nous ne parlons pas ici d’un vide empli d’une énergie pulsionnelle, d’un désir de vivre, d’un élan comme une lame de fond, mais plutôt d’un vide sans fond, boursoufflé de haine, et d’agressivité. La haine s’est déplacée certainement de l’objet maternel introjeté sur le moi écrasé par un Surmoi cruel, l’agressivité, sur le menu détail de sa propre vie. Cette agressivité ressemble fort à la manie du bipolaire, ou du maniaco-dépressif : affamée d’objets, dévoreuse de vie. Mais elle n’est en aucun cas projetée. C’est une introjection, puis une incorporation permanente sans passage réel par le rapport à l’autre. La dépression mélancolique est marquée tantôt par l’asymbolie tantôt par l’inhibition.Il y a comme une tranchée profonde entre le réel et l’imaginaire, ici, le réel halluciné car la fonction symbolique ou de symbolisation ne s’enclenche plus. Tout l’effort consiste à réinvestir cette « coquille vide ». C’est un travail de longue haleine car cela se fait sur plusieurs niveaux. Il y a nécessité de faire resurgir le manque non plus d’un objet perdu non identifiable car devenu inconsistant par la meurtrissure de la rumination, que Julia Kristeva nomme « la chose », mais d’une symbolique du vide. Il faut reconnaitre à la création littéraire cette puissance esthétique. Produire à partir de l’inanité, de la vacuité, de la perte de sens, du désespoir, de la détresse, du monstrueux, de la vomissure, la beauté, l’œuvre littéraire : une amorce au symbole. « je ne suis rienJe ne serai jamais rienJe ne saurai vouloir être rienA part ça, je porte en moi tous les rêves du monde … »C’est ainsi que commence le long poème Bureau de tabac de Fernando Pessoa, puis c’est une longue suite de métaphores sur la ville, ses gens, le réel monolithique…La métaphore permet ainsi de transporter : elle permet à la fois le déplacement de cette tristesse et la contenance du symbole.Cette solution sublimatoire devra être prise en compte dans la psychanalyse. Dans ce désir de bienveillance et de douceur, vantée par Anne Defourmantelle, je lui ai offert un petit carnet pour ces premières ébauches stylistiques où elle devra inscrire ces petits plaisirs de la vie. Je lui ai demandé d’en écrire au moins un chaque jour, de l’élaborer le plus finement, le plus délicatement, le matin particulièrement car je sais que c’est à l’aurore que surgit « l’ombre » de la Chose sur son moi. J’ai finalement établi un plan de bataille stratégique car je sais la pathologie récalcitrante et le vide phénoménal. Je ne suis pas partisan pour le cas, d’une psychanalyse froide et silencieuse, avec une fonction phallique trop marquée, car plus je m’enfonce dans l’océan psychanalytique, plus j’entends l’importance de cette écoute singulière, plus je comprends que l’accueil de la parole en souffrance doit être doux et grave, plus je sais que je suis la possibilité du sujet, et qu’il peut ainsi se décentrer de son moi agressif ou moribond, qu’il peut cheminer vers sa valeur et redonner chair à son idéal, plus je comprends l’importance de cette bienveillance.Cette douceur ne doit pas être feinte car elle se lit dans le regard qui est à la fois l’entourant, le contenant et le reflet dé-morcelant ! Je pense par ailleurs qu’il nous faut réinvestir l’instant par la parole, lui redonner sens, le faire être par l’interrogation, par le dialogue, par la vibration de l’émotion. Cela demande un investissement thérapeutique énorme mais le jeu en vaut la chandelle ! Car nous pouvons forts de ce renforcement, forts ces sutures, explorer les bons parents, faire naitre ou renaitre l’interconnexion, ou la relation fille-mère, fille-père pour ensuite approfondir ce qui s’est mal produit, mal passé, ou perçu comme tel. CONCLUSION : Que conclure lorsque le vide reste encore vide, que le manque est toujours manquant ! Nous avons à peine commencé ce long cheminement, et je le sais semé d’embûches considérables. Pour paraphraser Kristeva, « agglutiné à la chose, le moi reste sans objet » et donc sans manque. Et qu’il est difficile de faire naitre la chaîne des signifiants, quand le gouffre s’est installé si durablement, si confortablement entre le sujet et les objets. Mais je ne désespère pas de faire renaitre les liens entre les signes de la vie et les vécus par l’écoute, le questionnement, la parole, l’écriture : redonner chair à l’existence ! Notre moi est fait plus que d’affect et de pensées, il est moi-corps, moi-peau, moi-frontières. Je lui donne alors des « devoirs à faire » hors du transfert, pour donner comme je lui dis, « de l’importance à sa personne », en faisant par exemple un masque ou en « s’autorisant » un massage pour se faire du bien, pour elle-même. Tout semble parfois à construire ou reconstruire. Ce n’est pas seulement le vide qu’il faut emplir, mais la haine qu’il faut désemplir, la pousser dans ses retranchements. Et lorsqu’elle surgit dans une colère « fracassante », je tente de lui montrer l’importance du lien à la vie par son absence qu’elle devrait envisager auprès de ses amis, auprès de ses parents. Et quand je vois que cela ne suffit pas, je lui fais part de ma tristesse lorsque j’appris la disparition d’une amie, et sa longue agonie : je lui relate quelques souvenirs, et je lui dis que je suis triste car que ce ne sont plus que des souvenirs qui s’étiolent. Comme je vois que l’évènement ne fait pas encore symptôme, je lui déclare que je serai alors triste de son absence définitive. Et quelle triomphe quand elle me relate la fois suivante, son chamboulement à mes mots, et pourquoi !Car je sais que le langage peut à nouveau reprendre sa fonction de symbolisation. J’apprends à être humble bien sûr car la fois suivante, la rumination recommence, ou la fois suivante, la culpabilité resurgit… Je sais que la guérison ne vient que « de surcroit » mais je me dis que la psychanalyse est un « contre-dépresseur », que les soins de cette thérapie psychanalytique engagée peuvent partiellement cautériser sa souffrance et que son vide parait moins vertigineux qu’auparavant dans ma vision contre-transférentielle hallucinée. BIBLIOGRAPHIE :
Julia Kristeva : Soleil Noir (chez Payot)
Freud : Deuil et mélancolie (chez Payot)
Freud : le moi, le ça (chez Payot)
Mélanie Klein : Deuil et dépression (chez Payot)
Anne Defourmantelle : la puissance de la douceur (chez Rivages)
Mini DSM 5
Julien Green : le travail du négatif (chez Editions de Minuit)
Traité de Psychopathologie de l’adulte : Narcissisme et dépression (chez Dunod)